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«Écoutez-moi»

Mise en contexte :

Pauline est une femme de ménage travaillant dans un hôtel depuis maintenant tant d’années, qu’elle ne pourrait les compter. Elle connaît sa routine par cœur.


Nous sommes le 17 avril 2018. Et ce jour-là, comme tous les précédents, elle commence sa journée en parcourant les couloirs de l’hôtel cherchant les poignées sur lesquelles sont accrochées un accroche-porte du côté où il est écrit « Merci de faire ma chambre ».

Comme d’habitude, elle entame ainsi son ménage minutieux et chronométré.


A 13h, elle les a toute astiquée, sauf une.

La dernière chambre du dernier étage. La 312.

Et pour cause : il n’y avait pas d’accroche porte sur la poignée.

Pourtant elle avait bien vérifié, la chambre est occupée. Cela arrive d’oublier d’indiquer son absence. Ce n’est pas grave. Elle toqua.

Aucune réponse.

Elle prévenue alors à haute voix le potentiel occupant qu’elle allait entrer. Ce qu’elle fit.


Elle entendit un léger bruit de fond en pénétrant dans chambre. Mais à peine elle eut le temps de se demander ce que c’était qu’elle remarqua quelque chose. Bizarre. Le lit est fait et les rideaux grands ouverts. La chambre semble ne pas avoir été occupée. Du moins, jusqu’à ce qu’elle aperçoit un téléphone sur le lit. Il est branché sur secteur et l’écran est déverrouillé.

Curieuse, elle s’en approche. Sur l’écran figure un fichier nommé « écoutez moi ».


🎧 Je préfère écouter l'histoire en audio


Pauline n’était pas du genre à vouloir s’attirer des ennuis et n’aimait pas s’introduire dans la vie des gens. Le comble pour une ancienne journaliste. Mais cette fois, et elle ne saurait expliquer pourquoi, c’était différent. Elle hésita à aller donner ce smartphone à la réception… Mais elle ne put s’empêcher de cliquer sur le fichier.

A l’intérieur… Un enregistrement audio.

Elle soupira. Se disant qu’elle allait trop loin et que cela ne la regardait pas. Mais après tout, c’était écrit « écoutez-moi », alors c’était la moindre des choses d’écouter cet enregistrement non ? Enfin bon, quoi qu’il en soit, Pauline appuya sur le bouton play.

C’est la voix d’un homme que contient cet audio. Et voici ce qu’il y raconte :


« On dit souvent que notre esprit nous joue des tours quand on est fatigué. Que l’alcool et la nuit déforment notre perception, nous font voir des choses qui ne sont pas réelles. Mais cette nuit-là… ce que j’ai vécu… ce que j’ai vu… ce n’était pas un simple délire dû à l’épuisement. C’était autre chose.

Quelque chose qui ne devrait pas exister.

Quelque chose qui, pourtant… était bien là.


Je m’appelle André, j’ai 29 ans. Je vis à Paris, dans un appartement sans prétention, situé au troisième étage d’un immeuble vieillot. Murs blancs, parquet grinçant, voisins discrets. J’y vis depuis six mois avec Adrien, mon colocataire. La coloc’ André et Adrien, ça sonne bien ! Pouah, qu'est-ce que je raconte... Bref, on s’est rencontrés sur un groupe Facebook de recherche d’appart’, et on s’entend bien. Pas des amis proches, mais une cohabitation facile : chacun sa vie, ses horaires, son espace. Ça nous va parfaitement.

Je bosse dans une boîte de marketing digital. Un taf correct, pas passionnant, mais qui paie les factures. Mes journées sont rythmées par des réunions interminables, des mails sans fin et une machine à café qui fait plus de bruit que la circulation en bas de chez moi. J’aime bien sortir après le boulot, me poser dans un bar avec des collègues, évacuer la pression. Parfois un peu trop. Comme hier soir.

Il était presque minuit quand je suis rentré. Trois pintes, peut-être quatre. Pas complètement ivre, mais assez pour sentir la fatigue me tomber dessus comme une chape de plomb. La montée des escaliers me parut plus longue que d’habitude. Mon corps était lourd, mon esprit engourdi. J’avais hâte de m’écrouler sur mon lit et de sombrer.

J’ouvris la porte de l’appart et laissai échapper un soupir en jetant mon sac sur le canapé. L’endroit était silencieux, plongé dans la pénombre, seulement éclairé par la lumière orangée des réverbères filtrant à travers les rideaux.

J’avais cette mauvaise habitude : quand je rentrais tard, j’aimais bien allumer une vidéo YouTube en bruit de fond. Pas forcément un truc que je regardais, juste une voix, un son, pour éviter ce silence pesant qui me donnait parfois l’impression d’être seul au monde.

Je lançai une vidéo de voyage – un vlog sur une croisière de luxe, je crois – et me laissai tomber sur le canapé. Mon téléphone vibra une dernière fois avant que je ne le pose sur la table basse. Adrien n’était pas encore rentré, mais ça ne m’étonnait pas. Il bossait tard et avait une vie bien remplie en dehors de l’appart. A vrai dire, je ne sais même pas vraiment dans quoi il travaille.

Je m’enfonçai dans les coussins, laissant mes paupières se fermer. La voix du youtubeur, le léger grésillement de l’enceinte, tout ça formait un cocon rassurant. J’étais sur le point de sombrer quand j’entendis la porte d’entrée s’ouvrir.

Je rouvris les yeux, lentement. Juste assez pour voir Adrien entrer, déposer son manteau sur le porte-manteau et traverser l’entrée sans un mot. Son ombre glissa dans le couloir, direction sa chambre.

Je refermai les yeux.


Puis, quelques minutes plus tard, j’entendis la douche se mettre en marche.

Encore une fois, rien d’anormal.

J’étais à mi-chemin entre l’éveil et le sommeil, la tête lourde, les pensées brumeuses. La voix sur YouTube continuait son monologue sur la gastronomie à bord du paquebot. L’eau coulait dans la salle de bain. Tout était paisible.


Puis tout devint noir.

J’ouvris les yeux en sursaut. Mon corps était engourdi, mon souffle court. J’avais cette sensation désagréable d’avoir dormi trop profondément, d’être sorti d’un rêve confus. L’appartement était plongé dans l’obscurité. Mon téléphone affichait 3h24.

J’avais soif. Ma bouche était sèche, mon crâne me lançait. Je me levai péniblement et avançai vers la cuisine.

Puis je m’arrêtai net. Le bruit de la douche résonnait toujours.

Un frisson glacé remonta le long de ma colonne vertébrale. Trois heures. Trois putains d’heures que l’eau coulait ? Bordel il paye l’eau chaude lui aussi !

Je clignai des yeux, essayant de rassembler mes esprits. Peut-être qu’Adrien avait oublié de l’éteindre ? Peut-être qu’il s’était endormi ?

J’hésitai quelques secondes avant d’avancer vers sa chambre. Je toquai doucement à la porte.

— Adrien ?

Aucune réponse.

J’appuyai mon oreille contre le bois. Pas un bruit. Pas un souffle. Juste le son distant de la douche.

Je sortis mon téléphone et ouvris nos messages.

Un frisson d’angoisse me saisit en voyant une notification non lue.

Adrien : "Je vais encore finir ma nuit au taf, je devrais être de retour demain matin. A demain"

Message envoyé à 1h14.

Je sentis mon estomac se contracter. Mes doigts tremblèrent légèrement tandis que je relevais la tête vers la salle de bain.

La porte était fermée.

De la buée s’échappait sous l’interstice, rampant lentement sur le sol comme une chose vivante.

Mon cœur se mit à battre plus fort. Mes pensées s’entrechoquaient. Il y avait une explication logique. Forcément.

Mais une autre voix, plus sourde, plus primale, me soufflait une autre vérité.

Si Adrien n’est pas là… alors qui est sous la douche ?»



Pauline, assise sur le lit de la chambre 312, sentit un frisson lui parcourir l’échine. La voix d’André dans l’enregistrement était calme, presque monotone, mais chaque mot semblait chargé d’une tension palpable. Elle aurait dû s’arrêter là, éteindre le téléphone et prévenir la réception. Mais quelque chose la retenait. Une curiosité malsaine, peut-être, ou simplement l’impression qu’elle ne pouvait pas abandonner André maintenant, alors que sa voix tremblante racontait cette nuit cauchemardesque.


Elle écouta, captivée, tandis que l’histoire se déroulait.



« Je suis resté planté là, devant la porte de la salle de bain, incapable de bouger. Mon esprit tournait à cent à l’heure, essayant de rationaliser ce qui se passait. Peut-être qu’Adrien avait laissé la douche en marche avant de partir ?

Mais non, c’était impossible. J’avais entendu l’eau se mettre en marche après son retour. Et puis, il y avait cette buée… cette buée qui semblait presque trop dense, trop épaisse, comme si la salle de bain était remplie de vapeur depuis des heures.


J’ai essayé de l’appeler à nouveau. Pas de réponse. J’ai envoyé un message : « Adrien, t’es où ? La douche est toujours en marche. » Rien.


Mon cœur battait si fort que j’avais l’impression qu’il allait exploser. J’ai regardé autour de moi, cherchant quelque chose, n’importe quoi, qui pourrait m’aider à comprendre. C’est alors que j’ai vu son téléphone posé sur la table du salon. Son téléphone. Celui qu’il avait utilisé pour m’envoyer le message. Il était là, devant moi, silencieux.


Comment avait-il pu m’envoyer un message si son téléphone était ici ?


Je me suis approché, les mains tremblantes, et j’ai pris l’appareil. L’écran s’est allumé, révélant une photo de fond banale : un paysage de montagne. Rien d’anormal. Mais quand j’ai ouvert les messages, j’ai vu notre conversation. Le dernier message, celui qu’il m’avait envoyé à 1h14, était bien là. Mais comment ? Comment avait-il pu m’écrire si son téléphone était resté ici ?

J’ai senti une sueur froide perler sur mon front. Quelque chose n’allait pas. Quelque chose de vraiment, vraiment malsain.


C’est à ce moment-là que j’ai entendu un bruit. Un bruit qui m’a glacé le sang.

Un clic. Le son de la douche qui s’arrête.

Je me suis figé, les yeux rivés sur la porte de la salle de bain. La buée continuait de s’échapper, mais maintenant, il y avait autre chose. Un grattement. Léger, presque imperceptible, mais distinct. Comme si quelque chose – ou quelqu’un – traînait des doigts sur la porte de l’intérieur.

J’ai reculé d’un pas, puis deux. Mon esprit hurlait de partir, de courir, de m’enfuir. Mais mon corps refusait de bouger. J’étais paralysé, hypnotisé par cette porte et ce qu’elle cachait.

Puis, lentement, la poignée a commencé à tourner.


La porte de la salle de bain s’est ouverte lentement, avec un grincement sinistre. Une épaisse vapeur s’est déversée dans le couloir, enveloppant tout sur son passage. J’ai essayé de voir à l’intérieur, mais la buée était trop dense. Tout ce que je distinguais, c’était une silhouette. Une silhouette sombre, indistincte, qui se tenait immobile, comme si elle m’observait. A vrai dire, je ne suis pas trop sûr. J’ai à peine eu le temps de distinguer quelque chose dans cette épaisse buée que j’avais déjà détaler les escaliers.

Je me suis senti comme quand j’étais gamin, que j’éteignais la lumière et courait super vite jusqu’à ma chambre en m’imaginant que quelque chose me suit dans le noir. Sauf que là… Bordel j’ai vu un truc… Et c’était pas humain.

Je ne sais pas comment j’ai réussi à bouger. Peut-être que l’instinct de survie a pris le dessus. Mais d’un coup, j’ai tourné les talons et j’ai couru. J’ai traversé l’appartement en trombe, attrapé mes clés sur la table, et je me suis précipité dehors.

Je ne me suis pas arrêté avant d’être au milieu de la rue, à plusieurs pâtés de maisons de chez moi. J’ai regardé en arrière, vers mon immeuble. Et c’est là que je l’ai vu.

À la fenêtre de mon appartement, au troisième étage, une silhouette se tenait debout, immobile, les yeux rivés sur moi. Elle était trop grande pour tenir dans la pièce, son corps déformé, comme si elle avait été étirée pour s’adapter à l’espace. Et puis, lentement, elle a levé une main. Une main trop longue, aux doigts trop fins, et elle a agité les doigts, comme pour me saluer. Putain c’était terrifiant. A l’heure où je fais le vocal je ne suis même pas sûr de ce que j’ai vu ! Je suis peut-être devenu taré, j’en sais rien…. »


Pauline sentit une boule se former dans sa gorge. Elle regarda autour d’elle, soudain terrifiée à l’idée que quelque chose puisse se cacher dans la chambre. La voix d’André reprit, plus faible cette fois, comme s’il racontait la fin d’un cauchemar dont il ne pouvait pas se réveiller.


« Hors de question de retourner dans cet appartement. Les flics sont venus, puis des hommes en costumes, puis d’autres encore. Sans même se présenter, ils m’ont posé des questions, des questions… super étrange !

Du genre « Que fait votre colocataire dans la vie ? » « Combien de personnes différentes sont entré chez vous ? » « Avez-vous déjà entendu dans voix qui ne sont pas celle de votre colocataire après minuit ? »

Et… Bordel leur rôle n’est pas de rassurer la population à la base ? Non parce qu’à un moment il m’ont demandé « Avez-vous déjà vu quelqu’un debout au pied de votre lit au réveil après minuit ? Vous souvenez-vous d’à quoi ils ressemblaient ? ».

Sauf que là, ça m’a fait comme un choc.

Je me suis rappelé de certaines choses. Après que mon coloc’ ait emménagé, je me suis rappelé des moments que je considérais à ce moment-là comme le fruit de mon imagination. Les voix dont ils parlent. Je les ai déjà entendus… ça me revient… Je les ai entendu… J’étais toujours fatigué quand je les entendais, mais je me souviens que ça ressemblait à une voix d’homme super rauque et grave. On aurait dit du charabia.

Et puis il y a cette nuit ! Alors que je me suis réveillé pour aller au toilette, sans prendre la peine d’allumer la lumière pour ne pas réveillé Adrien, j’ai vu ce truc… Sur les toilettes, j’avais l’impression qu’une silhouette gigantesque y était assise. Evidemment ça a disparut dès que j’ai allumé la lumière.

Enfin bref, ils m’ont dit de ne pas en parler, de ne jamais en parler. Mais je ne pouvais pas garder ça pour moi. Pas après ce que j’ai vu.

Etant donné que je ne pouvais pas rentré chez moi, ils m’ont demandé de dormir à l’hôtel pour le peu qui restait de la nuit.

Ils sont marrants eux, comment tu veux dormir avec ça ?...

Alors j’enregistre ce message. Parce-que je ne sait pas à qui en parler sans qu’on me prenne pour un taré…

...

...

*bruit de la douche qui s’allume dans l'audio*

Oh non, pitié… »


Le fichier audio s’arrêta brusquement, laissant Pauline dans un silence oppressant.


Elle regarda le téléphone, puis la porte de la chambre 312, qui était restée entrouverte.

Pauline remarqua tout juste qu’il faisait désormais nuit, la chambre était plongée dans l’obscurité.


Avant même que son esprit ne puisse relevé que la nuit était tomber étrangement rapidement, elle se demanda : « Si André a laissé son téléphone ici, alors où est-il depuis tout ce temps ? »

Un courant d’air froid souffla sur sa nuque, et elle sentit une présence derrière elle.


Elle se retourna lentement, le cœur battant à tout rompre.


La salle de bain de la chambre 312 était ouverte. Et l’eau coulait.




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7 commentaires

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Invité
14 nov.
Noté 4 étoiles sur 5.

J'ai lu l'histoire et écouté en même temps, et j'ai trouvé l'histoire un peu longue. Je m'attendais aussi à la fin. Mais la description du monstre, l'idée de la douche ET SURTOUT LE CRI FINAL étaient tout simplement INCROYABLES !

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Le chroniqueur
Le chroniqueur
il y a 3 jours
En réponse à

Merci pour ce retour constructif. Je tâcherai de le prendre en compte pour les prochaines histoires. Il est vrai que certains passages auraient pu être raccourcis. J'espère que vous avez tout de même apprécié l'expérience. Merci pour les compliments 🙏

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Unesilhouetteinconnue
08 nov.
Noté 5 étoiles sur 5.

J’aime trop et 213 pour les marocains non ???🇲🇦🌹

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Invité
07 nov.
Noté 5 étoiles sur 5.

j'ai vraiment été pris au tripes, à oublier l'environnement qui m'entourait... j'ai ressenti ce suspens, cette angoisse ! juste j'aurais voulu savoir une suite ce qu'est devenu l'homme et la femme de ménage sinon BRAVO

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En réponse à

Vous n'imaginez pas combien votre message me touche. Je suis ravi d'avoir réussi à vous plonger dans cette histoire. Quant à la fin : c'est toute l'ambiguïté de ce récit !

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Invité
27 oct.
Noté 5 étoiles sur 5.

Bonjour vos histoires sont très intéressante merci de prendre le temps de les faire

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En réponse à

Merci pour votre commentaire, heureux que cela vous plaise ! C'est aussi ce qui me pousse à continuer.

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