Paralysie du sommeil
- Le chroniqueur

- 20 août
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 28 oct.
Je ne saurais pas dire exactement quand ça a commencé.
Mais je me souviens très bien de la première fois où je me suis réveillé… sans pouvoir bouger. Ce n’était pas un rêve. J’en suis certain. Mes yeux étaient ouverts. J’étais parfaitement conscient.
Je pouvais voir ma chambre, les ombres familières sur le mur, la lumière du réverbère qui filtrait à travers le rideau.
Mais mon corps, lui, était comme… désactivé. Pas engourdi. Pas douloureux. Juste... absent. J’essayais de remuer un bras, un doigt, n’importe quoi. Mais plus j’insistais, plus j’avais l’impression que la paralysie s’enfonçait profondément en moi, comme si chaque effort ne faisait que renforcer l’immobilité. Je voulais respirer plus fort. Rien ne venait. Je voulais appeler, crier, prononcer un mot... Ma gorge ne répondait pas. Et pourtant j’étais là, pleinement là. Conscient, lucide. Enfermé dans moi-même.
On appelle ça une paralysie du sommeil. C’est ce que j’ai découvert plus tard. Mais sur le moment…
je n’avais aucun mot pour ça.
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[Acte 1]
Je me suis dit que c’était un incident isolé. Que ça ne reviendrait pas.
Mais ça a recommencé. Quelques jours plus tard. Puis une autre fois. Puis encore. Et à chaque nouvel épisode, la sensation durait un peu plus longtemps. Comme si mon corps apprenait à rester bloqué. Ou pire : comme si quelque chose d’autre voulait m’y maintenir.
Je reconnaissais toujours la pièce. Rien n’avait changé.
Le meuble dans l’angle. Le léger cliquetis du radiateur. Le halo pâle de la lampe de chevet.
Mais c’était comme si tout avait perdu un peu de sa réalité. Comme si je regardais un décor… depuis l’extérieur.

Et puis, un soir, c’est arrivé.
Je dormais sur le flanc droit quand je me suis réveillé au milieu de la nuit, incapable de bouger.
Je ne sais pas pourquoi mais au milieu de l’immobilité, j’ai eu cette sensation.
Je n’étais pas seul. C’est difficile à expliquer mais j’en étais quasiment certain.
Je n’ai rien entendu. Rien vu.
Mais cette certitude s’est imposée à moi, comme une pensée évidente : il y avait quelqu’un d’autre dans la pièce. Dans mon dos, quelque part, hors de mon champ de vision. Et je sentais…qu’il attendait. J’ai eu l’impression de revenir en enfance, quand je me cachais sous la couette car j’étais persuadé qu’un monstre était sous mon lit. Sauf qu’à l’instant T, j’avais 32 ans et j’étais surtout incapable de bouger. Ça m’a paru une éternité.
La fois suivante, je me suis réveillé sur le dos. C’est rare. Je ne dors presque jamais comme ça. Et je ne me souviens pas m’être couché dans cette position non plus. La paralysie était plus forte. Plus complète. Je ne sentais même plus mes mains. C’était comme si mon propre corps ne m’appartenait plus, comme si j’avais été coulé dans du béton tiède.
Mon souffle était court, irrégulier. Pas bloqué… mais comme si l’air ne descendait jamais tout à fait. Je pouvais encore bouger les yeux. C’est tout. Alors j’ai balayé la pièce, lentement.
Et cette fois je l’ai vu pour de bon.
A côté de la fenêtre
Il était là.

Pas de bruit.
Pas de mouvement.
Mais il était présent.
Ça semblait si réel que j’ai commencé à paniquer davantage.
Et c’est là qu’une pensée m’a traversé, nette, comme une évidence : s’il décidait de me toucher, je ne pourrais rien faire.
Ce n’était pas la peur de mourir.
C’était pire. La peur d’être conscient d’un danger, et de n’avoir absolument aucun moyen d’agir.
Je ne suis pas du genre à me laisser emporter. Alors j’ai fait ce que je fais toujours quand quelque chose m’échappe : j’ai cherché.
J’ai passé une bonne partie de la journée suivante à lire. Des articles médicaux, des forums, des témoignages. Et un terme revenait en boucle : hallucination d’incube.
Le phénomène était connu. Des milliers de personnes l’avaient décrit. Presque mot pour mot. Mais il se manifestait différemment chez chaque personne malgré certaines similarités :
Un réveil incomplet.
Le corps figé.
Une silhouette sombre dans la pièce.
L’impression d’être observé.
Et parfois… étouffé.
Certains voyaient des démons accroupis sur leur torse.
D’autres, des ombres sans visage dans l’encadrement de la porte.
Tous avaient cette sensation d’être envahis, sans pouvoir se défendre.
Les médecins, eux, parlaient de projections mentales. Des fragments de rêve superposés à la réalité. Un état transitoire du cerveau, entre veille et sommeil. Et pendant un instant, j’ai voulu m’y accrocher. Me dire que je n’étais pas seul. Que c’était chimique. Temporaire. Que ça finirait par passer.
Mais la nuit suivante…
je n’ai pas eu à le chercher du regard.
Il était là.
Debout.
Au pied du lit. Bien plus proche que la nuit dernière.
Il ne bougeait pas. Il ne faisait rien. Mais sa présence remplissait toute la pièce.
Et je savais. Je savais qu’il n’était pas une simple image. Je ne peux pas l’expliquer autrement.
Il avait une densité. Une sorte de poids invisible dans l’air. Comme si l’espace autour de lui était… déformé. Il n’avait pas de visage. Pas de traits. Pas même une vraie forme. C’était plutôt une absence de lumière. Une masse compacte, impossible à fixer du regard, mais que je percevais jusque dans ma cage thoracique. Et quand mes yeux ont croisé l’endroit où je supposais qu’étaient les siens, j’ai senti une pression. D’abord très faible. Presque imaginaire. Puis plus franche. Plus ancrée. Juste là, sur ma poitrine. Pas comme une main. Ni comme un poids. Plutôt comme si l’air lui-même s’épaississait contre moi. J’étais une fois de plus impuissant et terrifié.
[Acte 2]
Je ne sais pas combien de temps je suis resté comme ça. Peut-être une minute. Peut-être beaucoup plus.
Le temps devient flou, quand on ne peut pas réagir. Je me souviens avoir tenté de détourner les yeux. En vain. Je n’étais plus qu’un regard prisonnier, et lui était là, à la limite de ma vision.
Et puis il a bougé. Pas brusquement. Pas comme un animal ou une ombre qui disparaît.
Non.
Il a avancé.
Un petit pas.
Puis un autre.
Toujours très lentement.
Sauf que… Je suis certain d’avoir entendu le craquement du parquet sous ses pas. Ça ne pouvait pas venir de ma tête, c’était trop réel.
Et en s’approchant, il a tendu les bras devant lui. Il s’est arrêté juste au bord du lit. Ses bras toujours tendus. Ses mains à hauteur de mon visage. Je ne pouvais pas les voir, mais je sentais leur présence. Une chaleur paradoxale. Ou peut-être un froid trop proche du corps. Un vide qui épousait ma peau. Et puis j’ai senti… le contact.
Ce n’était pas une caresse.
Pas une agression non plus.

C’était une pression lente.
J’ai fait des tas de recherches sur internet mais je n’ai jamais rien vu de tel. Là je sentais réellement ses doigts sur ma gorge.
Il n’a pas serré.
Pas tout de suite.
Mais sa main, ou ce qui tenait place de main, s’est refermée autour de ma gorge.
J’aurais voulu hurler. Ou simplement faire un geste. Mais il n’y avait rien. Juste mes yeux, fixes. Et ce poids qui augmentait. Progressivement. Il serrait de plus en plus fort et je ne pouvais rien faire, je n’arrivais presque plus à respirer. Je ne sais pas si j’ai perdu connaissance. Mais tout s’est obscurci. Un peu comme quand on ferme les yeux très fort et que la lumière se comprime derrière les paupières.
Sauf que là…
Je ne les avais jamais fermés. Du moins, je ne crois pas…
Je me suis réveillé au petit matin. Allongé, raide, le cœur encore lourd. La chambre n’avait pas changé. Tout semblait normal. Sauf moi. Je suis resté allongé longtemps, à fixer le plafond. Et je me souviens avoir eu cette pensée étrange :
Je ne savais plus quel jour on était.
Quand j’ai enfin eu le courage de me lever, j’ai été jusque dans la salle de bain.
Et dans le miroir j’ai vu que ma gorge était d’un rouge vif.
Est-ce que ça voulait dire… Que je n’ai pas rêver ?
[Acte 3]
Je n’ai pas quitté mon lit de la journée. Je me sentais vidé. Pas juste fatigué : comme si une partie de moi n’était pas revenue. J’ai tenté de lire, de manger quelque chose… je ne me souviens même plus si je l’ai fait.
J’étais là sans y être.
C’était la première fois que j’avais peur de dormir. Pas à cause de ce que j’allais voir. Mais à cause de ce que j’allais revivre. Me rendormir était maintenant synonyme d’une possible agonie lente et douloureuse.
J’ai fais une nuit blanche. Mais… La nuit suivante, je n’ai pas résisté longtemps. Le sommeil est venu plus vite que je ne l’aurais voulu. Et comme chaque fois, la paralysie m’a cueilli sans prévenir.
Je me suis réveillé allongé. Incapable de bouger. Mais cette fois, il n’y avait personne dans la pièce. Pas de silhouette. Pas de bruit. Juste un silence… lourd. Saturé. Et puis, un flash. Ce n’était Pas une hallucination ni un rêve. C’était Un souvenir.
La sensation d’un choc.
Soudain.
Sec.
Puis des vibrations.
Des cris.
Une lumière vive.
Et l’odeur âcre du plastique brûlé.
Je ne voyais rien.
Mais mon corps, lui, s’en souvenait. Il tremblait de l’intérieur. Et moi, j’étais là, sans comprendre, à respirer dans un espace qui n’existait plus.
[Acte 3]
Mais j’ai compris que quelque chose n’allait pas. Parce-que d’habitude, quand j’arrive à me calmer : tout s’arrête. C’est le seul moyen de sortir de cette foutue paralysie. Je me suis alors concentrer sur mon souffle.
Sauf que…
Crac
C’est là que je l’ai entendu. Il était revenu. Ça y est cette fois tout était perdu. J’allais mourir… je crois que j’aurais préféré mourir.
CRAC
J’ai senti le matelas s’affaisser sous son poids. Ça n’avait rien d’une hallucination. C’était là. Je ne pouvais toujours pas bouger. Mais cette fois, c’était pire que de la paralysie.
C’était de la vulnérabilité. Totale.
Et puis…
le silence.
Pendant quelques secondes, plus rien. Juste ma respiration saccadée, et cette douleur sourde dans la poitrine. Et là… Je l’ai senti.
Son souffle.
Juste derrière moi. Une chaleur moite, inhumaine, contre ma nuque. Puis quelque chose a effleuré mes cheveux. Lentement. Comme une main hésitante. Une larme a coulé contre ma joue. J’aurais voulu en finir, mais même ça c’était impossible. Je sentais le matelas s’enfoncer légèrement plus derrière moi. Une pression infime. Mais suffisante pour me faire perdre pied. Il était là. Allongé contre moi. Il a à nouveau serrer ce qui semblaient être des énormes main gelé sur ma nuque. Il serrait encore et encore….
Je me suis sentie partir.
Ça y est. C’était la fin.
...
…
Alors je me suis fait a cette idée.
Je l’ai accepté.
Et seulement là, alors même que je sentais ses mains froides contre ma nuque… je me suis calmé.
Et son étreinte s’est retiré nette.
Puis mes yeux se sont fermés.
Pas pour fuir. Pas pour disparaître. Juste… pour accepter. Et dans l’obscurité de mes paupières, le souvenir est revenu. Entier. Sans violence.
Le choc.
La lumière blanche.
Le froid du métal sous mon dos.
Les voix paniquées.
Un rythme lointain.
Et ce bip… régulier.
Discret.
Presque apaisant.
...
...
Et puis plus rien.
Plus de lit.
Plus de chambre.
Plus de silhouette.
Juste un vide calme.
Comme un espace sans contour.
Et j’ai compris.

Je crois que ça a commencé ce soir-là.
Je ne sais plus quand.
Mais je sais comment.
Et maintenant…
je suis en paix.
[La vérité]
Le témoignage que vous venez de lire est une reconstitution. Il a été élaboré à partir de fragments de phrases prononcées par un patient plongé plusieurs semaines dans un coma artificiel après un accident de la route.
D'après les soignants, il arrivait que l'homme parle par moment dans ses sommeils.
Des mots épars, des descriptions confuses, répétés à intervalles réguliers.
Une infirmière, intriguée, à commencé à tout noter.
Les proches ont reconnus des détails. Des expressions familières. Des souvenirs partagées. L'homme évoquait même des souvenirs de sa chambre avec une précision troublante. Des choses qu'il n'aurait pas pu inventer dans un état de confusion.
Ce qui a le plus surpris l'équipe médical, c'est qu'il parlait régulièrement de paralysie du sommeil, alors qu'aucun épisode de ce type n'avait été signalé dans son passé médical.
C'est à partir de ces éléments qu'à été retracée, morceau par morceau, cette histoire.
Il est impossible de savoir s'il s'agissait d'un délire, d'un rêve, ou... d'autres chose.
Mais une chose est sûre selon ses proches : ce qu'il décrivait, il semblait l'avoir vraiment vécu.
La majorité du catalogue est et restera GRATUIT et SANS PUB.
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Excellent, comme d'habitude j'adore le plot twist imprévisible !