La Grosse Dame
- Le chroniqueur
- 25 janv.
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 mai
L’histoire que je vais vous conter est vieille de plus d’un siècle. Elle s’est transmise de bouche à oreille durant toutes ces années et je vais tenter de vous la transmettre de la manière la plus fidèle possible.
Aujourd'hui, nous allons plonger dans l'ambiance pesante d'un village du XIXe siècle, un village ordinaire… ou presque.
Parmi les ruelles pavées et les façades usées par le temps, il y avait une boutique d'antiquités. Une boutique bien différente des autres. Ce n'était pas seulement l'endroit où l'on venait chiner des babioles. Non. Ce qui attirait les curieux, c'était la propriétaire. Une femme que tout le monde appelait "La Grosse Dame". Pas très élégant, je sais. Mais les surnoms, surtout à l'époque, étaient rarement choisis pour faire plaisir.
Ils ne savaient pas grand-chose d’elle. Ni d’où elle venait, ni pourquoi elle avait ouvert cette boutique. Mais ce qu’ils savaient, c’est qu’elle ne souriait jamais. Elle ne parlait que peu, mais ses paroles… ah, ses paroles. Elles marquaient au fer rouge et c’est peu de le dire.
Car la Grosse Dame avait un don. Certains l’ont d'abord pris pour une farce ou une manière d’attirer les curieux dans sa boutique. Puis, les rumeurs ont pris de l’ampleur. Il se disait qu’elle pouvait prédire… la mort. Pas seulement la façon de mourir, non. Elle donnait une date. Précise. Et cette date… était toujours la bonne.

Les exemples ne manquent pas. Il y a eu cet homme, par exemple. Paul. Un bon vivant. Toujours à rire fort au café. Un jour, il est entré dans la boutique pour acheter un cadeau à sa femme. Il est ressorti blême. La Grosse Dame lui aurait dit ces mots :
"Le 18 mai. C’est ce jour-là que tu te pendras."
Paul n’y a pas cru. Mais le 18 mai, on l’a retrouvé chez lui. Pendue à une corde, la chaise renversée sous ses pieds. Pas de lettre. Juste son corps se balançant au plafond.
Puis, il y a eu Jules. Un fermier qui vivait à l’écart, loin des commérages de village. Un homme tranquille, sans histoire. La Grosse Dame lui a prédit qu’il mourrait d’une "vengeance atroce" après son passage dans la boutique. Trois mois plus tard, on l’a retrouvé dans sa ferme. La porte grande ouverte, et son corps au sol, la cervelle éclatée par un tir de fusil. Le sien.
Deux autres morts sont venues confirmer la rumeur. Des villageois qui, un jour, avaient osé franchir la porte de la boutique de la Grosse Dame. Et, chaque fois, le jour annoncé correspondait à celui de leur décès.
Alors, oui, on a commencé à y croire. Mais croire ne suffisait plus. La peur, elle, s’est installée. Entrer dans la boutique devenait un défi.
Mais certains ne peuvent s'empêcher de tenter le diable. Parmi eux… il y avait Hervé. Un homme sans famille et peu superstitieux.
Partie 1 : La Boutique d'Antiquité Ce jour-là, la pluie tombait fort. Des gouttes épaisses, bruyantes sur les pavés du village. Hervé poussa la porte de la boutique, le manteau trempé, et secoua la tête pour se débarrasser de l'eau. Le plancher grinça sous ses bottes.

Il jeta un œil autour de lui. Des pendules, des horloges au tic-tac irrégulier, des jouets anciens au sourire figé… Un bric-à-brac silencieux où chaque objet semblait l'observer.
Derrière le comptoir, elle était là. La Grosse Dame. Silencieuse. Immobile. Elle ne le regardait pas directement, mais il sentait son attention sur lui.
« Bonjour. » dit Hervé d’un ton léger.
[Silence.]
Elle ne répondit pas. Hervé haussa les épaules. Il parcourut les étagères, observant les objets.
À un moment, il sentit le regard d'un homme sur lui. Un client, assis près de l’entrée, une pipe en main. Un vieux du village. Il le salua d'un signe de tête, et le vieil homme hocha la tête en retour, mais ne dit rien.
Hervé se retourna d’un bond. Un vase venait de tomber derrière lui, éclatant en mille morceaux.
« Tu casses...Tu payes. » grogna la grosse dame d'une voix grave.
Hervé se tourna vers elle, incrédule.
« J'ai pas touché à ce vase ! » répondit-il sèchement.
Elle avança lentement vers lui, ses yeux plantés dans les siens.
« Il est cassé. Tu paies. » rétorqua-t-elle calmement.
Hervé haussa la voix:
« Non. C'est pas moi. Je paierai pas. »
C’est alors que le vieux Monsieur à l’entrée lui lança :
« Écoutez-la, mon gars. Écoutez-la… »
Mais Hervé tourna les talons et sortit en soupirant.
La Grosse Dame, sur le seuil de la porte lui hurla :
« Dans trois jours, tu tomberas de tes escaliers… et tu mourras ! »
Partie 2 : Les Trois Jours
Jour 1
Dans les petits villages de l’époque, les rumeurs se répandaient plus vite que la peste.
Alors dès le premier jour, les murmures se répandirent.
"Hervé... C'est lui.."
On le regardait du coin de l’œil. Des têtes se tournaient sur son passage. Les commérages allaient bon train. Certains faisaient des paris, d'autres priaient en silence.
Hervé, lui, riait jaune. Il haussait les épaules. "Bande de crétins", marmonnait-il tout bas. Mais au fond, il était nerveux.

Jour 2
Le deuxième jour était plus lourd.
Au café, on ne lui adressa plus la parole. Les regards se faisaient pesants.
Cette nuit-là, Hervé était sur le qui-vive. Chaque craquement de bois, chaque bruit du vent à la fenêtre le tirait de son sommeil. Vers deux heures du matin, un bruit sec le réveilla. Il bondit du canapé. Rien. Juste le vent. Il alluma une lampe à huile et passa le reste de la nuit assis sur une chaise, les yeux rivés sur l'escalier.
Jour 3
Le dernier jour, le village était plus silencieux que d'habitude. Hervé avait mal dormi. Cette prédiction le préoccupait bien plus qu’il ne l’imaginait.
En se pavanant dans le bourg, Hervé croisa un visage familier. C'était le vieux de la boutique. Celui qui l'avait averti.
« Bon courage, vieux. C’est aujourd’hui. » Lui dit-il avec un sourire compatissant.
Partie 3 : La chute
Hervé rentra chez lui. Cette nuit-là, il décida de dormir sur le canapé. Simple précaution. "Par mesure de sécurité", se disait-il. Il se coucha sur le canapé. Il dormait, lorsqu'un bruit sec le réveilla. Il se redressa, écouta. Quelque chose venait de l’étage. Hervé prit une lampe et monta. Sa respiration était plus rapide. Les marches craquaient. Il arriva en haut et fit un pas dans le couloir.
Puis, il sentit deux mains puissantes le pousser. Il hurla. Son corps heurta les marches, ses os craquèrent. Étendu au pied de l’escalier, il ne bougeait plus. Il ne pouvait qu’observer le liquide rouge qui sortait abondamment de son corps.
Sa vision se brouilla, petit à petit.
Mais elle était encore suffisamment net pour lui permettre de voir une silhouette massive en haut de l’escalier.
Si grosse qu’elle occupait toute la largeur du couloir de l’étage.
....
Je sais ce vous vous dites.

Comment sait-on ce qu’a vu Hervé dans son dernier souffle et comment cette histoire a-t-elle pu perdurer dans le temps si Hervé est mort ? La réponse est simple : il ne l’était pas. Par miracle, Hervé ouvrit ses paupières au bout de quelques heures. Il cracha du sang par terre, la chaleur du liquide chaud sur son menton le ramena au moment présent. Il se redressa, appuyant sa main sur le mur. Sa tête tournait, sa vision floue dansait devant ses yeux. Il souffrait terriblement. Il avait du mal à respirer dû à ces côtes cassées dont une transperçait son ventre et à l’hémorragie situé au niveau de son crâne.
Tout comme vous, il comprit tout à cet instant.
Comment cette femme avait bâti sa réputation.
Hervé le savait, il ne lui restait plus que quelques heures à vivre aux vues de la quantité de sang qu’il était en train de perdre. Il devait aller voir un médecin au plus vite.
Mais, plus que l’envie de vivre, quelque chose en lui brouillait ses pensées.
Il n’était aveuglé que par une seule chose : se venger.
Partie 4 : La Vengeance
Il rassembla ses dernières forces. Rouge de sang et de colère qui l’animait, il se leva et prit le plus gros couteau de sa cuisine. Il sortit de chez lui. Une fureur sans nom l’animait et le poussait à traverser la ville. Hervé n'avait plus de forces. Mais la colère… la colère le portait.
Il avançait, les épaules en avant, le souffle court, chaque pas lui envoyait une décharge de douleur dans les côtes. Sa main gauche pressait son flanc, cherchant à retenir le peu de sang qui lui restait. Dans l'autre main, il serrait le couteau, ses jointures blanches, comme si sa rage s'était glissée jusque dans sa paume.
Il marchait dans les ruelles. Autour de lui, les volets s'entrouvraient. Les visages des villageois apparaissaient dans l'ombre des fenêtres. Pas un mot. Pas un bruit. Seulement des regards. En cette nuit de pleine lune, il était minuit passé et tous les villageois étaient à leur fenêtre et regardait cet homme avancer mécaniquement. Plus il avançait et plus sa vision était trouble. Hervé ne voyait rien d’autre que la boutique au bout de la rue. La lumière blanche de la lune se reflétant sur ces carreaux.

Il y était enfin, mais elle n’était pas là. La boutique était vide. Son souffle court résonnait entre les murs de bois. Il ouvrit les tiroirs, renversa les étagères. Jusqu'à ce qu'il trouve… un carnet, derrière le comptoir. Il y était inscrit 5 noms et 5 dates :
Paul – 18 mai
Jules – 9 juillet
Clément - 5 août
François - 30 septembre
Hervé - 8 décembre
Tous les noms, sauf le sien étaient rayés. Il se laissa tomber sur le tabouret derrière le comptoir, les mains tremblantes mais le regard fixe. Son souffle, haché par la colère et l'épuisement, faisait vibrer la flamme d'une bougie près de lui. Il essuya le sang sec sur sa joue d'un revers de manche et serra encore plus fort son couteau, d’une véritable poigne de fer. La lame brillait faiblement dans la pénombre. Il pointa le couteau droit vers la porte d'entrée. Il n’était désormais animé que par l’idée que la Grosse Dame foule le sol de sa boutique, pour lui planter à son tour sa lame dans sa chair.
Au petit matin, nombre de villageois s’étaient agglutiner devant la vitrine de la boutique. Ce qu’ils voyaient à l’intérieur les laissaient tous sans voix, tant la vision qu’ils avaient étaient terrifiante. Hervé se tenait assis derrière le comptoir. Sa tête recouverte de sang. La rage de l’homme pouvait se voir dans ses yeux vitreux et sans âme encore ouverts qui fixait l’entrée de la boutique. Il tenait encore le couteau dans sa main droite. Sans vie.
Conclusion
Jamais plus la Grosse Dame n’a été revue. Ce 9 décembre, un soir de pleine lune, peut-être qu’Hervé avait brisé la malédiction. Cet homme est mort ce soir-là, assoiffé par son désir de vengeance... qu’il n’aura jamais pu assouvir.
Je vous dis A bientôt, si vous osez revenir...
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