La Forêt des Pendus : L'histoire de la dernière sorcière
- Le chroniqueur

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Cela fait dix ans que la forêt, de l’autre côté du village de Trom, porte un nom que plus personne n’ose prononcer : la Forêt des Pendus.
La première à y avoir été pendue… ne l’a pas été de son plein gré.
C’était une femme, belle à en troubler les prières, que l’on accusait d’envoûter les hommes.
On disait qu’elle les poussait à l’adultère, qu’elle faisait vaciller les foyers, qu’elle semait le désordre dans les âmes et dans les lits. Qu’elle envoûtait les hommes.
Une sorcière, disaient-ils.
Alors, un soir de colère, les hommes du village l’ont traînée jusqu’à la rive.
Ils ont jeté la corde sur le premier arbre, celui qui veille encore sur le cours d’eau.
Et pendant qu’elle suffoquait, ils ont gravé un mot sur sa langue, à coups de couteau.
« Pardonnée. »
Depuis, seuls les corbeaux chantent sous ces branches.
On raconte que les feuilles s’y balancent même les nuits sans vent, et que ceux qui s’approchent trop du rivage entendent encore le craquement des cordes de tous ceux qui s’y sont pendus depuis.
Car cet événement n’a été que le premier d’une longue lignée.
Voilà des années que, depuis la pendaison de cette femme, des dizaines d’âmes en peine sont venues mettre fin à leurs jours dans cette forêt de l’autre côté de la rive. C’est ce qui lui a valu son nom de Forêt des pendus.
C’est ici que commence cette histoire. Une histoire que l’on a tenté d’oublier.
Celle de Trom, un village qu’on a rebaptisé depuis, pour effacer sa honte.
Mais les légendes, elles…ne meurent jamais tout à fait.
Alors laissez-moi vous narrer cette terrible histoire, transmise de bouche à oreille, comme il se doit. A la manière d’un véritable conte.
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PARTIE 1 : La malédiction
Trom.

Un nom que plus personne n’ose prononcer à voix haute.
Jadis, c’était un village prospère, adossé aux collines et au grand chêne qui marquait la frontière du monde connu.
Mais depuis la pendaison de la femme que l’on appelait la sorcière du rivage, la terre elle-même semble maudite.
On dit que c’est sa malédiction qui ronge les récoltes et flétrit les visages.
Que tant que son corps restera suspendu de l’autre côté de la rive, aucun homme ne connaîtra la paix.
Les champs ont cessé de donner.
Les bêtes refusent d’approcher l’eau.
Et dans les maisons, les prières se font rares.
Certains prétendent que la malédiction est dans le sol, d’autres qu’elle est dans le sang.
Mais tous s’accordent sur une chose : Trom n’est plus un lieu pour les vivants.
Peu à peu, les familles ont quitté le village.
Ceux qui restent survivent à moitié, entre faim, superstition et silence.
La peur a pris la place de la foi.
Et quand la nuit tombe, on entend parfois, au loin, les cordes se balancer dans la forêt, comme si le vent tirait encore sur les pendus.
Il y a pourtant plus inquiétant encore que le vent.
Depuis des années, des villageois quittent le village sans dire un mot.
Ils partent au crépuscule, prennent la route du nord, et disparaissent dans la brume.
Tous ceux qui n’en peuvent plus… finissent par emprunter le chemin du nord.
Un chemin dont nul n’est jamais revenu.
Pour mettre fin à leur jour. Ereinté par cette malédiction ou la vie elle-même dit-on.
C’est là-bas qu’aurait été aperçu le passeur.
Un homme silencieux, tapi au bord du fleuve..
On dit qu’il traverse les âmes en peine contre quelques pièces d’or. A la forêt des pendus.
Une entreprise plutôt lucrative dans un endroit aussi macabre que Trom.
Archibald connaissait cette histoire. Tout le monde la connaissait.
Mais lorsqu’Elena, sa femme, disparut à son tour… il commença à y croire.
Il passa la journée à la chercher, le cœur battant, les mains tremblantes, appelant son nom dans le vent.
Et quand la nuit fut tombée tout à fait, alors qu’il s’apprêtait à rentrer…il entendit, pour la première fois, les sanglots de la rive.
PARTIE 2 : Les sanglots de la rive
Archibald s’était endormi d’épuisement à force de chercher sa bien-aimée, la tête posée sur la table, sa lanterne encore allumée.
C’est un bruit lointain qui le tira du sommeil.
Un son fragile, presque noyé dans le vent.
Il redressa la tête. L’air glacé s’engouffrait sous la porte.
Un second sanglot se fit entendre, plus clair.
« Elena ?»
Il resta immobile, tendu, à écouter.
La maison entière semblait retenir son souffle.
Une fois encore, un nouveau sanglot, plus proche.
Il se leva brusquement, manquant de renverser la lanterne.
Le verre vibra, le feu vacilla, projetant sur le mur l’ombre tremblante de sa propre silhouette.
Il appela encore, la voix rauque :
« Elena !»
Il l'a reconnu cette fois. Il se précipita alors vers la porte et sorti.
Dehors, la nuit était épaisse, couverte d’une brume grise. Les champs s’étendaient jusqu’à la rivière, vides et silencieux.
Puis le bruit revint, plus net cette fois.
Un pleur étouffé, porté par le vent depuis la rive.
« Mon Dieu» murmura l'homme.
Archibald s’élança. Ses bottes s’enfonçaient dans la boue, l’eau lui fouettait les chevilles.
À chaque pas, la brume se refermait un peu plus autour de lui.
« Elena ! Où es-tu ?!»
Une voix féminine parvint jusqu'à ses oreilles, comme portée par le vent.
« Viens avec moi...»
Il s’arrêta net. La voix semblait venir de partout à la fois.
Il tourna sur lui-même, cherchant, la lanterne haute.
Sa lumière dessinait des cercles dorés dans la brume, sans rien éclairer d’autre que le vide.
Un second appel, plus clair, plus doux :
« Ne me laisse pas»
Il crut distinguer une silhouette, au loin, sur le pont.
Fine, immobile, baignée d’une clarté pâle.
« Elena ?!»
Mais la forme s’effaça dans la brume.
Archibald se remit à courir, jusqu’à atteindre le petit pont de bois qui menait à la rive gauche.
Le pont grinça sous son poids, comme s’il n’avait pas été franchi depuis des années.
De l’autre côté, la lumière d’une lanterne attira son regard : une cabane, à moitié dissimulée par la brume.
Il sentit son cœur battre à tout rompre. Peut-être un pêcheur, ou un garde… quelqu’un qui l’aurait vue passer.
Il traversa en hâte.
En approchant, il distingua la lueur dansante d’un feu derrière la fenêtre.
Il frappa à la porte.
Une fois.
Deux fois.
Trois.
Silence.
Puis un pas lourd se fit entendre à l’intérieur.
« Il y a quelqu’un ?!»
La porte s’ouvrit lentement, avec un long grincement.
Un homme se tenait là.
Grand. Immobile. Le visage dissimulé sous une capuche.
Archibald sentit un frisson courir dans son dos.
« Pardon, mon brave. Ma femme a disparu… Elle s’est perdue dans la brume.
Vous ne l’auriez pas vue ? »
L’homme ne répondit pas. Il leva simplement le bras et pointa du doigt vers l’autre rive, celle de la Forêt des Pendus.
« Vous êtes sûr ? Il n’y a rien, là-bas !»
Silence.
Seul le feu crépitait dans la cabane.
« Je dois la rejoindre. Aidez-moi à traverser !»
L'hommes répondit d'une voix lente et grave, déformée par un souffle rauque.
« Dix écus d’or.»
« Quoi ?!» s'exclama Archibald, surpris.
« Dix écus pour traverser.» insista l'homme
Archibald le fixa, hébété.
« Dix écus ? Vous plaisantez ?»
L'homme répondit à d'une voix glaciale :
« Ceux qui traversent n’ont plus rien à perdre.»
« Cinq, alors. Et deux de plus à mon retour.» tenta de négocier Archibald
L’homme se mit à rire, puis lui répondit :
« Il n’y a pas de retour.»
Archibald recula d’un pas en grognant, puis céda.
Il suivit alors l'homme sans un bruit jusqu'à une barque au bord de la rive.
« Montez » dit le passeur.
Ce qu'il fit. Il se retourna une dernière fois vers la cabane.
La flamme dans la fenêtre venait de s’éteindre.
Il sentit un vertige, puis le silence.
Seul restait le bruit des rames qui fendaient l’eau noire.
PARTIE 3 : L'autre rive
La traversée lui sembla durer une éternité. Le fleuve, d’ordinaire paisible, paraissait sans fin.
À chaque coup de rame, la brume se refermait sur eux comme une bouche.
Archibald n’osait pas parler. Le passeur ramait en silence, sa capuche basse sur le visage.
Seule la flamme tremblante de la lanterne accrochée à la proue éclairait la nappe d’eau devant eux.
« Nous approchons ?» demanda Archibald d’une voix tremblante.
…
...
Pas de réponse.
Il voulut se retourner vers l’autre rive, mais ne vit plus rien derrière eux.
La cabane, le pont, même la lueur du village avaient disparu.
Tout n’était plus que brume et silence.
Il croyait apercevoir des très légères formes blanchâtre dans l’eau, mais ça devait être son imagination. Le passeur ne semblait pas perturbé.
En relevant la tête, Archibald vit d’autres formes suspendues au-dessus de l’eau.
Derrière la brume épaisse, des silhouettes accrochées aux branches basses se dessinaient.
Leurs pieds nus se balançaient à hauteur d’homme.
Les cordes grinçaient doucement, rythmées par la rame.
Archibald sentit sa gorge se serrer.
« Par pitié… qu’est-ce que c’est que ça ?!» s'écria-t-il.
« Ce sont ceux qui ont voulu traverser avant vous.» répondit le passeur d'une voix calme.

Il voulut se lever, mais la barque tangua.
« Stoppez ! Ramenez-moi !»
Pas de réponse. La rame continuait de fendre l'eau.
Archibald leva les yeux vers le ciel.
La lune, pleine et pâle, baignait les arbres d’une lueur spectrale.
Les ombres se tordaient au sol comme des silhouettes vivantes.
Des dizaines et des dizaines de corps inerte se balançant dans la nuit noire.
Et puis il la vit.
De l’autre côté du rivage : une femme. Seule, debout, les pieds nus dans l’herbe.
Sa robe blanche flottait au vent, ses cheveux collaient à son visage.
C’était Elena.
« Elena !» cria-t-il.
Elle ne répondit pas.
Elle fixait la barque, immobile.
Son visage semblait différent…figé dans une expression qu’il ne lui connaissait pas. Mais la vision de sa femme venait de lui faire changer d'avis.
« Tenez bon !» cria-t-il au passeur. « Plus vite ! »
En s’approchant, Archibald sentit quelque chose d’étrange.
Le sol sous la barque s’éclairait d’une lumière argentée.
Les ombres des arbres s’étiraient… mais pas la sienne.
Il leva la lanterne.
Rien.
Son corps n’en projetait aucune.
« Qu'est-ce que...»
A peine avait-il eu le temps de se questionner sur ce phénomène que le passeur s’arrêta.
Sa rame glissa lentement dans l’eau.
« Vous y êtes » lui dit le passeur, avec la même voix calme.
Archibald sauta à terre.
L’air y était plus froid, plus dense.
Chaque inspiration lui brûlait les poumons.
Devant lui, Elena s’éloignait lentement, s’enfonçant entre les arbres.
Il appela sa bien aimée :
« Elena ! Attends !»
Puis il se mit à courir en sa direction.
Mais plus il avançait, plus la silhouette semblait s’éloigner.
Et à chaque pas, une corde grinçait au-dessus de sa tête.
Il s’arrêta, haletant.
Et soudain, au loin, dans la brume argentée, une ombre semblait l’observer.
Une femme, au cou tordu. Il pouvait distinguer un sourire figé, tenant dans sa main une corde usée.
L’ombre fit un pas.
Puis un autre.

Archibald tourna les talons et courut à nouveau, dans le sens inverse.
« Laissez-moi ! Je ne veux pas mourir !» hurla-t-il.
La voix de la femme au cou tordu lui parvint dans l'obscurité de cette forêt. Déformée et rauque :
« Mais tu es déjà mort…»
Suivi d'un rire qui n'avait rien d'humain.
PARTIE 4 : Corde
Archibald courait à perdre souffle.
Les arbres semblaient se resserrer autour de lui, leurs branches agrippant ses vêtements, lacérant sa peau.
Lorsqu’il n’entendu plus cet horrible rire, le souffle court, il s’arrêta derrière un tronc, plaqua son dos contre l’écorce et tenta de reprendre son souffle.
Il ferma les yeux. Il n’entendait plus rien, si ce n’est le silence oppressant de la forêt et ces maudits corbeaux. Pas un pas, pas un souffle.
Peut-être l’avait-il semée.
Il se risqua à jeter un œil de l’autre côté de l’arbre. Personne.
Il voulut avancer, mais quelque chose se resserra soudain autour de son cou.
Il porta les mains à sa gorge, tira de toutes ses forces, mais la pression augmentait.
Ses pieds quittèrent le sol.
Une voix se fit entendre au-dessus de lui :
« Je t'ai eu »
Il tenta de crier, mais aucun son ne sortit.
Son regard se leva vers le ciel.
Au-dessus de lui, suspendue entre les branches, la silhouette de la femme.
Son cou tordu, sa bouche ouverte dans un rictus impossible.
Elle tirait la corde à deux mains, sa tête penchée d’un côté, un rire grinçant s’échappant de ses lèvres.
Archibald agrippa le tronc à portée de main, ses doigts s’enfonçant dans l’écorce.
Il tenta de se hisser, de soulager la tension.
La corde cédait à peine, chaque mouvement lui arrachait la gorge.
Dans un ultime effort, il parvint à attraper la branche et à glisser ses doigts entre le nœud.

Le chanvre râpa sa peau, coupa ses doigts, mais il tira, encore et encore, jusqu’à sentir la corde se desserrer.
D’un coup, elle céda.
Il tomba lourdement au sol.
Il resta un moment immobile, les mains sur sa gorge, le souffle court.
Autour de lui, la forêt s’était tue, même le vent avait disparu.
...
Il se redressa, la tête tournante, la peau à vif.
Là-haut, la corde pendait toujours, balançant lentement dans le vide.
Mais la femme, elle, n’était plus là.
Archibald recula, puis s’élança de nouveau dans la forêt.
Il ne savait plus où il allait, seulement qu’il devait fuir.
Fuir à tout prix.
Alors il se remit à courir vers la rivière.
PARTIE 5 : La rivière
Archibald déboucha sur une clairière. Le fleuve était là, devant lui : large, noir, impassible.
La brume glissait au ras de l’eau, bien moins épaisse qu’à son arrivée.
Derrière lui, plus rien. Ni rires, ni cordes, ni pas.
Juste le silence et ce clapotis régulier qui battait comme un cœur.
Il courut jusqu’à la berge. Ses vêtements étaient trempés de sueur, son cou en feu.
« Il faut que je sorte d’ici.» Se dit-il.
Souffle haletant, Il regarda autour de lui.
Il reconnut vaguement le pont plus loin, noyé dans le brouillard.
Et là, près de la rive, une silhouette. Une lumière dans la fenêtre. La cabane.
Le passeur était encore là.
Archibald sentit une bouffée d’espoir lui traverser la poitrine.
« Hé ! Aidez-moi !»
La silhouette ne bougea pas.
Il crut distinguer, derrière la vitre, la forme de l’homme, immobile, la tête tournée vers lui.
« Vous m'entendez ?!»
Pas le temps d’attendre.
Il retira sa veste et se jeta dans le fleuve.
L’eau était glacée, plus lourde que de la pierre.
Chaque mouvement lui coûtait une douleur atroce.
Il avançait à peine, la lanterne dans la bouche, tirant des bras pour rejoindre l’autre rive.
Mais plus il nageait, plus le courant semblait le repousser.
Ses muscles se raidissaient, ses poumons brûlaient.
Il hurla, mais son cri se perdit dans la brume.
Il n'eu pas le temps de crier à l'aide qu'il avait déjà la tête tous l'eau.
Quelque chose venait d’agripper sa cheville.
Il tira d’un coup sec, sans succès.
La main qui venait de l’agripper remonta lentement, froide, glissant contre sa peau.
Il plongea un instant la tête sous l’eau pour voir.
Et il la vit.
Le visage d’Elena, livide, les yeux ouverts, l’eau s’échappant de sa bouche.
« Non... non, ce n'est pas toi...» se dit-il

Elle tira plus fort.
Une corde s’enroulait déjà autour de sa jambe.
Archibald frappa dans l’eau, hurla, tenta de la repousser, mais son visage se déformait à chaque éclaboussure : il n’était plus certain de reconnaître sa femme.
La corde remonta le long de son corps, s’enroula autour de sa taille, puis de son cou.
Il tenta d’attraper quelque chose, mais ses doigts glissèrent sur la vase.
Elena, ou ce qu’il croyait être elle, le fixait sans un mot, les lèvres entrouvertes.
Puis elle tira, d’un geste sec.
L’eau se referma sur lui.
Tout devint noir.
Au matin, on retrouva son corps accroché au premier arbre de la rive, à la place exacte où, jadis, on avait pendu la sorcière.
Sa peau portait la marque du chanvre et ses yeux, grands ouverts, semblaient regarder encore vers le ciel.
Sur son front ruisselant de sang avait été gravé « Pardonné »

PARTIE 6 : La sorcière
À l’aube, des hommes de Trom découvrirent le corps d’Archibald.
Il pendait au premier arbre du rivage, là même où, dix ans plus tôt, on avait pendu la femme qu’ils appelaient sorcière.
Son visage bleuissait déjà, ses doigts crispés tenaient encore un fragment de corde.
Aucun d’eux ne parla. Ils savaient. Le pauvre homme, pensant avoir perdu sa femme, avait mit fin à ses jours…
La Forêt des Pendus avait pris un autre.
Mais ce qu’ils ne savaient pas… c’est qu’Elena avait été retrouvée chez elle.
Assise près du foyer, les vêtements mouillés, les cheveux trempés et le sourire aux lèvres.
Quand les gardes frappèrent à sa porte, elle se leva, leur ouvrit, sans trembler.
Un d'eux lui dit :
« Un habitant du village, qui a entendu du remue-ménage près de la rive, s’y est déplacé. Il vous a vu accroché le corps inerte de votre mari à un arbre.
Suivez nous. La potence vous attend.»
Elle les suivit sans résistance jusqu’à la place du village.
Là, devant la foule, majoritairement féminine, elle parla.
Sa voix était claire, posée, presque douce.
« Oui, c'est moi.»
« Je l'ai tué.» poursuivit elle.
Personne n’osa bouger.
Un prêtre balbutia quelques mots, mais elle continua, calmement :
« C’était le dernier. Maintenant Yséa peut demeuré en paix. Car oui, celle que vous appelez « Sorcière » avait un nom ! »
« Ce que vous appelez malédiction n’est que la mémoire de vos crimes.
Tant que vous pendrez une femme pour la faute d’un homme, tant que vous laverez vos péchés dans notre sang, la Forêt des Pendus chantera vos noms. »
La foule se mit à murmurer.
« Sorcière ! » cria un homme dans la foule.
Elena sourit faiblement.
« Continuez d’appeler « sorcières » celles qui doivent répondre à vos pulsions. Vous pouvez me pendre aussi. Mais une autre me vengera. »
On lui lia les mains.
Elle monta sur l’échafaud sans baisser les yeux.
Avant que la trappe ne s’ouvre, elle prononça ces derniers mots :

« Tant que vous condamnerez une femme pour sa beauté ou pour son seul fait d’exister ;
Tant que vous ferez porter vos crimes par nos corps ;
Tant que nous serons sacrifiées pour couvrir vos actes barbares et votre incapacité à penser autrement qu’avec votre queue, nous serons là.
Pour ne pas vous laisser remanier l’histoire à votre manière.
Pour vous empêcher de souiller notre mémoire.
Pour que nul n’oublie ce que les hommes de Trom ont fait. »
La trappe sous ses pied céda.
Son corps pendait, inerte, sur la place publique de Trom.
Depuis ce jour, les habitants ont peu à peu quitter le village.
Seules certaines femmes, veuves ou non, y restèrent.
Trom mourut lentement, mais paisiblement.
Et le nom du village devint synonyme de… mort.
FIN
On dit que le village de Trom n’existe plus.
Qu’il a été rebaptisé, effacé des cartes, englouti par les brumes du nord.
Les hommes de Trom ont crié à la sorcellerie… pour dissimuler les abus commis sur Yséa.
Ensemble, ils ont voulu faire taire celle qui avait osé mettre leurs péchés au grand jour.
Mais tous, jusqu’au dernier, ont péri.
L’histoire d’Yséa n’est pas unique.
Entre le XVe et le XVIIIe siècle, plus de quarante mille femmes ont été exécutées à travers l’Europe, accusées de sorcellerie.
La plupart n’étaient ni guérisseuses, ni occultistes.
C’étaient des veuves, des sages-femmes, des pauvres, des femmes trop belles ou simplement trop libres pour leur époque.
On les pendait, on les brûlait, on les noyait… parce qu’elles gênaient.
Parce qu’un homme avait parlé.
Parce qu’une communauté avait peur.
Aujourd’hui encore, certains villages conservent les traces de ces procès :
des registres, des noms, des confessions arrachées sous la torture.
Et dans ces pages, on ne trouve aucun démon.
Seulement des femmes
Des mères.
Des innocentes.
Alors peut-être que la forêt des pendus n’est pas une légende.
Peut-être qu’elle n’est qu’un souvenir.
De toutes celles qu’on a voulu faire taire.




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